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Le transport maritime navigue t-il vers la décarbonation ?

Rédigé par Muriel de LITA.co | 23 janvier 2024

C’est le mode de transport le plus important pour la circulation des marchandises. Le transport maritime, maillon clé de la mondialisation, assure 90% des échanges en volume, mais en contre partie il est responsable de 3% des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES). En effet, le transport maritime a des coûts très faibles et offre d’excellents rendements. C'est grâce à l'augmentation de la taille des navires et à l'utilisation du fioul lourd, un carburant bon marché, peu taxé mais fortement émetteur.

L’Organisation Maritime Internationale estime que l’industrie connaîtra une forte croissance au cours des prochaines décennies, avec une augmentation de 130% de ses émissions de Co2. Où en est la transition du secteur ? Quelles solutions techniques peuvent améliorer son bilan ?

Décryptage des enjeux de décarbonation du transport maritime. 

Un secteur toujours en croissance 

Principalement utilisé pour les échanges intercontinentaux, le développement du transport maritime a accompagné la mondialisation. En 2019, environ 11 milliards de tonnes de marchandises ont traversé les océans. Soit une multiplication par cinq depuis 1970. Les projections suggèrent que ce volume pourrait continuer d’augmenter de 35 à 40% d'ici à 2050, en raison de l'expansion démographique mondiale. 

En termes d'émissions par tonne transportée, le transport maritime s'avère être le mode de transport le moins polluant en matière de gaz à effet de serre. Cependant, son empreinte climatique reste importante et ne cesse de s'accroître en raison de l'augmentation des échanges internationaux. Pour l'année 2022, cette empreinte était estimée à 1,1 milliard de tonnes de CO2 équivalent, ce qui représente 3% des émissions mondiales de GES. 

En conséquence, l’Organisation Maritime Internationale (OMI), et ses 175 pays membres, ont pris plusieurs engagements: 

  • Réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 20 voire 30% d’ici 2030 
  • Réduire d’au moins 70% voire 80% des émissions d’ici à 2040

Si ces engagements sont plus ambitieux que ceux pris en 2018, ils sont encore insuffisants pour être alignés avec l’accord de Paris et la cible de 1,5°C. De son côté, l’Union Européenne a adopté un règlement plus ambitieux en mars 2023. L’intensité des gaz à effet de serre des navires transitant au sein de l’UE devra baisser de 2% par an à compter de 2025.  Pour y arriver, l’UE compte sur l’utilisation de carburants et d’énergies plus propres.

N.B : Il ne faut pas négliger, non plus, les conséquences sur la biodiversité marine, les impacts environnementaux liés aux infrastructures portuaires, ainsi que les divers types de pollution associés à ce mode de transport. 

Les pistes pour réduire les émissions du secteur 

Si le transport maritime a accompagné la mondialisation, il a aussi grandement facilité la désindustrialisation d’un certain nombre de territoires. Relocaliser les outils industriels au plus proche des consommateurs permettrait de réduire fortement la taille des chaînes logistiques et par conséquent les émissions liées au transport. Cette piste, bien que difficile à mettre en œuvre, ne doit pas être négligée. D’autant plus qu’elle sert d’autres intérêts que le climat : gouvernance, indépendance stratégique… En attendant, il reste crucial de substituer les 300 millions de tonnes de carburants fossiles utilisées annuellement par des options énergétiques à faible impact carbone.

Voici les pistes poursuivies aujourd’hui pour propulser la flotte de navires : 

Carburant de synthèse ou biocarburants 

C’est la piste privilégiée par la plupart des acteurs du secteur : remplacer le fioul par des carburants de synthèse ou des biocarburants. Si l’hydrogène et les batteries électriques semblent être déjà éliminés pour le transport longue distance du fait des problématiques de stockage, les biocarburants semblent plus intéressants. Toutefois, il existe de nombreuses barrières limitant leur démocratisation dans le transport maritime : 

  • Concurrence avec d’autres besoins 

La capacité de production européenne de biocarburants ne serait que de 1.7 millions de tonnes en 2030. Or ces biocarburants sont attendus pour répondre à d’autres usages, notamment pour répondre aux besoins de l’aviation. 

  • Coûts de production élevés 

Selon un rapport de l’ADEME, ces nouveaux carburants coûteraient 2 à 8 fois plus cher que le fioul lourd. Un surcoût difficilement absorbable pour les armateurs, pour qui le carburant représente déjà 35% des charges. 

  • Un déplacement des émissions 

Lorsqu’on utilise des carburants alternatifs, il y a un risque de déplacer les émissions de la consommation vers la production des carburants. Ainsi l’empreinte carbone globale du “puits jusqu’à l’hélice” peut être plus élevée si la production a nécessité de fortes émissions de GES. Même si les recherches dans ce domaine se poursuivent, il y a un intérêt à diminuer rapidement le besoin énergétique des navires. 

Réduire la vitesse pour réduire la consommation 

En abaissant la vitesse des navires de 10 à 15%, la consommation de fioul pourrait être réduite de 20 à 30%. Cette méthode, appelée “Slow Steaming” a déjà fait ses preuves lors de crises antérieures, comme les chocs pétroliers ou la crise financière de 2008. Si les principaux armateurs ou les États membres de l'Organisation Maritime Internationale parvenaient à un consensus sur la vitesse maximale des navires, cela entraînerait une réduction significative de la consommation de carburants et des émissions de CO2 à l'échelle mondiale. Toutefois, un effet rebond pourrait être observé : les armateurs pourraient accroître leur flotte pour maintenir un niveau de service équivalent. 

Utiliser la force du vent pour se déplacer 

Selon un rapport exhaustif publié par l'ADEME en 2022, la propulsion vélique gagne en crédibilité en tant que mode de propulsion viable. Le secteur a bénéficié de diverses avancées technologiques en termes de conception et de forme des voiles, facilitant ainsi la conversion — ou le "rétrofit" — des navires déjà en service. Le vent étant une ressource gratuite, l’utilisation de voiles permettrait des économies opérationnelles de 5 à 20% sur les navires déjà existants. 

Pour les nouveaux navires prévoyant dès la conception une propulsion à voile, c’est environ 80% des coûts opérationnels qui seraient économisés.

Le rapport de l’ADEME soutient également que le vent peut servir de moteur principal pour un navire de taille moyenne sur des routes maritimes spécifiques, telles que les routes transatlantiques. Le vent peut également agir comme une source de puissance supplémentaire, pour divers types et tailles de navires, stabilisant ainsi les coûts de transport. Une quinzaine de grands navires de charge, dont le voilier TOWT, sont déjà en phase de test, et d'autres devraient les rejoindre dans un avenir proche.

Zoom sur la voile et ses acteurs 

Dans un rapport de 2017, la commission européenne estimait qu’il y aurait entre 3700 et 10 000 navires équipés de voiles d’ici à 2030, contre seulement quelques dizaines aujourd’hui. Pour 2050, le gouvernement britannique estimait une flotte composée de 35 à 40 000 navires à voile. Alors à quoi ressembleront ces futurs bateaux à voile s’appuyant sur les dernières technologies développées pour la course au large ou la plaisance ? 

Des navires classiques avec option voile 

L’objectif est de permettre l’utilisation de la force du vent comme appoint à une propulsion plus traditionnelle ou comme nouvelle source de propulsion principale. Voici un tour d’horizon des grandes technologies

  • Les Kites ou voiles tractées 

Une grande voile, semblable à un cerf-volant, est déployée dans les airs pour capter le vent. Cette force supplémentaire aide à propulser le navire, réduisant ainsi la nécessité de moteurs traditionnels. C'est une option écologique et rentable pour les opérateurs de navires. Quelques entreprises françaises sont aux avants postes ici, on peut citer par exemple Airseas & Beyond the sea.

 

  • Les rotors

Un peu plus complexe, cette technologie utilise un cylindre rotatif monté sur le navire pour exploiter l'effet Magnus. Quand le cylindre tourne, il crée une différence de pression autour de lui, produisant ainsi une force propulsive. Cette méthode à l’avantage de prendre peu de place sur le pont du navire.

  • Les voiles complètes 

Ici on vient rajouter des mats et des voiles directement sur le pont du navire. C’est ce que propose Ayro, la société française à l’origine de ces OceanWings, ces voiles semi-rigides que l’on peut voir notamment sur le bateau hybride le Canopée. 

De véritables voiliers 

L’enjeu pour l’avenir est également de concevoir de nouveaux navires, optimisés afin que la voile en soit le mode de propulsion principale. C’est le choix réalisé par TOWT, WindCoop ou encore Neoline. 3 sociétés dont les projets de voiliers cargos se concrétisent depuis peu, et dont le taux de décarbonation est proche de 90%, par rapport à un navire classique.

L’avis de LITA.co :

Chez LITA, toutes les technologies permettant de réduire la consommation de carburant et donc les émissions du transport maritime de marchandises sont étudiées. Pour relever le défi de la décarbonation du transport maritime, la démarche portée par TOWT nous semble particulièrement impactante.

Les autres technologies, dont celles qui appliquent des voiles à des cargos existants, offrent des taux de décarbonation moins intéressants que les navires conçus pour la propulsion à la voile. Elles se révèlent souvent consommatrices de capital et requièrent des investissements plus importants.  

Mais la transition du secteur nécessitera plusieurs technologies, dont celles appliquées à la flotte existante, avec des performances de décarbonation dépendant de la dimension des navires et des attentes des entreprises (vitesse de navigation, fréquence de transport, tracking des marchandises). TOWT réfléchit déjà à des voiliers-cargos de plus grandes capacités pour répondre aux attentes de leurs clients. En plus de ces solutions, le secteur doit aussi décroître et un maximum de biens pouvant être produits plus proche du lieu de consommation doivent l'être. Certaines denrées, comme celles transportées par TOWT, ne peuvent pas être produites en Europe, ce qui rend leur proposition de valeur très pertinente.

À lire aussi, notre article sur les coulisses de l'aventure entrepreneuriale de TOWT.