Énergies renouvelables : pour une transition juste et éthique

7 février 2024 | Décryptage Énergies renouvelables : pour une transition juste et éthique

Les énergies renouvelables sont la principale technologie nécessaire à la réussite de la décarbonisation des systèmes énergétiques mondiaux. Selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), le monde a atteint l'an dernier un niveau "historique" de 50% d'énergies renouvelables en plus par rapport à 2022, ce qui anticipe un rythme inédit dans les années à venir.

Alors que les gouvernements se sont fixés, à la COP28, de tripler la capacité mondiale d'énergies renouvelables d'ici 2030, de plus en plus de preuves emergent et établissent le lien entre les chaînes d'approvisionnement des énergies renouvelables et des cas d’esclavage moderne et de travail forcé.

Une transition énergétique juste et éthique ne pourra se faire sans un secteur d'énergies renouvelables exempt d’esclavage moderne, qui garantit le respect effectif des droits humains dans ses chaînes d’approvisionnement. On décrypte ces enjeux ensemble.

Travail forcé, esclavage moderne : de quoi parle-t’on ? 

Selon les dernières Estimations mondiales de l'esclavage moderne, 28 millions de personnes sont soumises au travail forcé dans le monde. L'esclavage moderne recouvre un ensemble de concepts juridiques tels que le travail forcé, la servitude pour dettes, le mariage forcé, et la traite des êtres humains. Bien que l'esclavage moderne ne soit pas défini par la loi, il est utilisé comme un terme générique qui recouvre des situations qu’une personne ne peut pas refuser ou quitter, en raison de menaces, de violences, de coercition ou d'autres formes de violence.

Selon la Convention sur le travail forcé de l'Organisation internationale du travail (OIT), 1930 (n° 29), le travail forcé ou obligatoire est "tout travail ou service exigé d'un individu sous la menace d'une peine et pour lequel cet individu ne s'est pas offert de plein gré". 

Quels liens avec les énergies renouvelables ? 

  • Un risque de travail forcé des Ouïghours dans l’énergie solaire

Selon le Global Slavery Index de 2023, la fabrication de panneaux solaires est la quatrième catégorie de produits exposés au travail forcé la plus importée par les pays du G20. En effet, selon un rapport du Clean Energy Council, environ 2,6 millions d’Ouïghours et de Kazakhs ont été soumis à du travail forcé dans la région de Xinjiang en Chine. Or, cette région produit 40 à 45% du polysilicium, un matériau nécessaire à la fabrication de 95% des panneaux solaires. Jusqu'à 97 % de l'offre mondiale de panneaux photovoltaïques pourrait contenir des composants issus du travail forcé.

  • Du travail d’enfants dans les batteries pour véhicules électriques

Aujourd’hui les batteries Lithium-ion (Li-ion) sont la technologie de référence pour le monde du transport électrique. Ces batteries représentent aujourd'hui plus de 50 % de la consommation mondiale de cobalt. Une consommation qui ne va que s'accroître au vu des tendances de ventes de véhicules électriques qui devraient passer de 6,5 millions en 2021 à 66 millions d'ici 2040. Or, cette production de cobalt est aussi exposée à des risques de travail forcé dans ses chaînes d’approvisionnement : elles concernent principalement l'exploitation minière à petite échelle en République démocratique du Congo (RDC), où environ 250 000 personnes, dont au moins 35 000 enfants, travaillent dans des mines artisanales.

Plus de 60 % de l'offre mondiale de cobalt est extraite dans la "ceinture de cuivre" des provinces du sud-est de la RDC.  Des recherches menées par Amnesty International ont révélé que des enfants de sept ans travaillent dans des mines de cobalt, souvent pour moins de 2 dollars par jour. Les conditions d'exploitation sont réputées dangereuses et les travailleurs et travailleuses ne disposent souvent pas d'équipements de protection adéquats et sont exposés à la poussière toxique de cobalt, facteur connu de la maladie pulmonaire due aux métaux durs.

  • Des droits humains menacés pour la production d’éoliennes 

Au cours de la dernière décennie, la capacité mondiale de l'énergie éolienne a augmenté de 9 % par an. Cette montée en flèche de l’énergie éolienne fragilise l’Amazonie équatorienne, qui assure 75 % de la production mondiale du bois utilisé pour fabriquer des pales d’éoliennes. Les communautés locales sont les premières impactées par ces pratiques extractivistes. Des études ont révélé de nombreux cas d'exploitation de la main-d'œuvre chez certains fournisseurs de bois de balsa, les travailleurs étant soumis à des pratiques d'esclavage moderne. Mais cela ne s’arrête pas là. Les minéraux utilisés dans la fabrication des éoliennes sont également source de préoccupations. Une éolienne de 3 MW contient à elle seule environ 4,7 tonnes de cuivre. Le Centre de ressources sur les entreprises et les droits de l'homme a enregistré au moins 74 allégations d'impact sur les droits de l'homme en relation avec des sociétés d'extraction de cuivre dans le monde entier.

De manière générale, les éoliennes, les panneaux solaires, les véhicules électriques et les batteries de stockage nécessitent de grandes quantités de minéraux. La pression pour extraire davantage de cobalt, de cuivre, de lithium, de manganèse, de nickel et de zinc s'intensifie : selon la Banque mondiale, dans un scénario de limitation du réchauffement à 2°C par rapport à l’ère préindustrielle, la demande des principaux minéraux utilisés dans les éoliennes augmentera de 250 %. Dans son dernier rapport, le Centre de ressources sur les entreprises et les droits de l'Homme, comptabilise 510 allégations de violations des droits humains entre 2010 et 2022, dont 65 rien qu’en 2022.

Comment garantir des énergies renouvelables réellement propres ?

  • Des réglementations européennes

En septembre 2022, la Commission européenne a présenté un texte qui prévoit d’empêcher l’entrée de tous produits issus, ou partiellement issus, du travail forcé (à la différence de la loi adoptée aux Etats-Unis qui vise spécifiquement les produits originaires du Xianjiang pour interdire l’importation de produits issus du travail forcé des Ouïghours).

En octobre 2023, le Parlement a renforcé la proposition initiale, en inversant la charge de la preuve dans les situations les plus à risque : ce ne sera plus aux autorités de prouver l’existence de travail forcé, mais aux entreprises de démontrer que les produits n’ont pas été réalisés en tout ou en partie par des travailleurs forcés. Le Conseil doit encore se prononcer.

Suite à l’accord obtenu entre le Parlement et le Conseil en décembre 2023, la directive européenne sur le devoir de vigilance impose aux entreprises l’obligation de recenser et, le cas échéant, de prévenir, d’éliminer ou d’atténuer les incidences négatives de leurs activités sur les droits de l’homme, tels que le travail des enfants et l’exploitation des travailleurs, et sur l’environnement. Cela s’applique tout au long de leur chaîne de valeur.

L’adoption de la directive est prévue pour juin 2024 et son entrée en vigueur en 2026. Cette directive permettra de réduire les risques de travail forcé dans les chaînes de production d’énergies renouvelables européennes (mais pas que). 

  • Des initiatives d’entreprises

Les entreprises actives dans le secteur des énergies renouvelables doivent jouer un rôle de premier plan dans l'atténuation des risques d'esclavage moderne dans leurs chaînes d'approvisionnement. Quelques initiatives émergent comme celle du Conseil européen de la fabrication solaire (ESMC) qui a pris, en septembre dernier, une position claire contre le travail forcé dans la chaîne d’approvisionnement de l’énergie solaire photovoltaïque.

La prise de position d’ESMC comprend des recommandations aux décideurs politiques et un programme de diligence sur la manière dont les fabricants de la chaîne d’approvisionnement photovoltaïque doivent travailler pour prévenir et réduire les risques d’exposition au travail forcé. L'Alliance mondiale des batteries, qui comprend 150 entités gouvernementales et non-gouvernementales, en est un autre exemple. Les membres de cette alliance ont développé un "passeport” pour les batteries qui garantit une traçabilité sur toute la chaîne de valeur et une transparence sur les normes sociales, environnementales et de gouvernance.